Mes chers patients
Infirmière depuis plusieurs années, je suis passionnée par les échanges humains et la dimension complexe et riche des émotions. Je partage ici des pensées, des histoires de vie et des réflexions personnelles sur la complexité de la vie. L'écriture me permettant une mise à distance de mes propres émotions ce qui est pour moi essentiel afin de rester une soignante disponible...et une humaine qui grandit. Ma devise : " La vie est trop courte pour soigner triste " (Dominique Friard)
Article 39 : Vulnerabilis
Article 38 : Au delà de la vie et de la mort
=> Il n’y a pas d’âge pour mourir <=
Seul le mouvement de la vie et de la mort dirigent l’ensemble des êtres vivants sur terre. L’humanité est soumis au tempo imprévisible de ces deux polarités incontrôlables. Et dans cette réalité fragile et vulnérable rien ne dure :
- Tout ce qui est composé, se décompose,
- Tout ce qui a été construit, s’effondre,
- Tout ce qui s’est uni se sépare...
=> L’impermanence, telle un bourreau d’existence <=
Voilà ce que mes patients en soins palliatifs et leur famille vivent de plein fouet…Ils nous convoquent à une place délicate qui va faire résonner cette vérité mortelle de notre vie : l’éphémère. Et chacune de leur peur et de leur larme nous implorent de ne jamais oublier que tout s’arrête un jour.
Leur corps fatigué, réceptacle des ravages de la maladie, exprime une temporalité où la joie semble se dérober sous leur pied et tentent de retenir du bout de leur vie la moindre lueur d’espoir...Mais rien ne peut apaiser cette peur douloureuse dans leurs yeux qui restent effrayés par l’inéluctable de devoir dire adieu à la vie et à tous ce qu’ils aiment…
Néanmoins dans ce désespoir de la séparation surviennent des instants d’amours intouchables et que même la douleur de mourir ne parvient pas à abîmer : ces moments de partages remplis de tendresse et d’humanité deviennent alors intemporels. Ils illuminent de leur douceur et de leur force cette course effrénée de la vie et de la mort pour les contenir et leur redonner un souffle plus supportable. En somme, ils viennent retenir la vie.
L’amour donne du sens à ce temps qui nous échappe. Osons le partager et le nourrir de notre vivant. Car si l’amour n’a pas le pouvoir de ralentir la course du temps, il peut l’envelopper de sa grâce et d’une certaine éternité : l’amour est le seul d’entre nous qui ne meurt jamais. Si le défunt nous quitte, l’amour partagé continuera de vivre dans le coeur de ceux qui restent. Et peut-être même que l’amour est aussi préservé et emporté dans l’énergie de celui qui rejoint le ciel…
=> Au delà de la vie et de la mort, l’amour demeure...et à jamais il survivra <=
Charlotte, septembre 2024
Article 37 : La construction d'un amour mature
Article 36 : La relation soignant / soigné
Article 35 : Et l’oiseau s’envola vers l’éternité...(A Mme M.)
C’est un long chemin. Et il est rarement paisible.
Mais comment espérer déployer son humanité, son potentiel unique, sans mener cette quête de soi ?
En occultant cette responsabilité qui nous incombe tous, nous sommes condamnés à rester des ignorants dont l’inconscience construira une existence de violence et de souffrances répétées : une vie qui n’aura alors eu aucun sens au moment de notre disparition...Est-ce vraiment là ce que nous souhaitons laisser de notre passage sur terre ?
A notre naissance, nous sommes soumis à nos besoins primaires, aux personnes qui s’occupent de nous et qui peuvent les combler. Soumis également à notre corps si immature et à notre vulnérabilité.
Mais au fur et à mesure de notre croissance, nous développons notre autonomie et notre capacité à penser. Nous pouvons nous détacher de ce qui ne résonne pas pour nous, garder ce qui participe à nous construire positivement et éloigner ce qui nous tire vers le bas.
Et c’est à ce moment là de notre vie qu’il faut prendre conscience de cette véritable responsabilité car cela deviendra notre plus grande chance. Celle de mettre de la lumière sur notre animalité.
Cette opportunité peut nous offrir un espace privilégié pour grandir intérieurement en repoussant toujours plus nos limites, celles que nous n’aurions jamais pensé pouvoir dépasser. Cette route nous amènera alors vers le voyage le plus passionnant du monde : l’aventure de soi...
Cependant les embûches de la vie nous font souvent renoncer à nous-mêmes. Nous subissons la souffrance car elle nous immobilise. Sûrement car nous ne nous faisons pas assez confiance. Nous n’avons pas encore découvert toutes nos capacités profondes. Nous n’apprenons malheureusement pas à rechercher et découvrir ces trésors que nous possédons tous. Et pourtant, tout se trouve en nous. Ne cherchons plus à l’extérieur : apprendre à compter sur soi, faire de son coeur et de son esprit des alliers pour enlacer notre vie avant qu’elle ne nous échappe...
Plus la souffrance me rencontre et plus je me relève. Non pas différente, mais davantage moi-même. Et c’est quand je suis à terre et que je découvre ma vulnérabilité, que je deviens moi-même.
Oui, c’est exactement à cet instant le plus fragile que je n’ai plus d’autres choix : celui de laisser tomber les masques inculqués par mon éducation et la société dans laquelle je vis. Et dans cette ultime bataille avec moi-même j’ai un choix à faire. Soit je continue à me faire du mal et à renier ma nature singulière pour continuer à m’adapter aux stéréotypes du monde. Soit je m’accueille, je m’écoute et je m’offre de l’amour pour apaiser mes tourments intérieurs.
Dans le premier choix je permets au monde extérieur de définir qui je suis.
Dans le second choix, c’est à moi seule que j’autorise à choisir et devenir qui je suis vraiment.
C’est alors que je peux me relever en assumant ma fragilité intérieure car c’est à chaque fois que j’ai le sentiment d’être anéantie par la souffrance que j’apprends à compter un peu plus sur moi. La souffrance est une alerte pour apprendre sur soi. Elle n’est pas une fatalité. Ni une ennemie. L’obstacle c’est la peur. Souffrir est une opportunité de faire grandir son âme. »
Voilà les échanges profonds et riches que j’ai pu avoir avec Mme M.
Son accompagnement s’est éteint avec elle à l'unité des soins palliatifs un jour de printemps. Aujourd’hui elle n’est plus. Mais elle demeure dans mes pensées. Grâce à elle, j’ai grandi encore un peu plus dans cette simplicité de l’Être. Car c’est à chaque fois que je rentrais dans sa chambre que ma blouse blanche de soignante perdait toute sa symbolique : c’est sa sagesse, sa douceur contenante qui ont accompagné l’infirmière que je suis. Les rôles parfois s’inversent...
Article 34 : Nadine
Voilà les pensées encombrantes qui viennent me hanter ce matin avant de partir au travail.
Je prends mon poste d’infirmière dans l’unité des soins palliatifs et les transmissions de l’équipe de nuit. De là, j’apprends qu’une patiente nous a quitté et que son corps repose dans une des chambres de notre service. Cette information vient immédiatement m’extirper de mes pensées lourdes et égocentriques de ce matin. Vous me direz, rien d’étonnant un décès dans cette spécialité de travail. Mais jamais je ne pourrai banaliser la fin d’une existence humaine...Dire « adieu » n’est pas une habitude que l’on prend.
D’ailleurs, cette patiente nous l’avons suivi pendant plusieurs mois, elle a pu rentrer chez elle à plusieurs reprises après l’équilibration de sa douleur ou encore un besoin de réajustements d’aides à domicile. Elle a pu profiter encore de la vie malgré la maladie. Et heureusement que c’est ainsi car nous n’avons pas de mainmise ni sur la vie ni sur la mort...
Cette patiente a eu une vie difficile, ponctuée de grandes épreuves traumatisantes. Cependant, à son contact, cela ne se devinait pas car je l’ai toujours connu souriante, généreuse et d’une grande douceur dans ses partages avec l’équipe soignante.
Je suis toujours bouleversée quand je rencontre des Êtres bienveillants qui savent écouter et accueillir les mots et sentiments des autres avec empathie malgré qu'ils aient été si gravement blessés eux-mêmes par la rudesse de l’existence.
Je la revois toute frêle marcher dans les couloirs de notre unité et si amaigrie par la maladie. Je l'entends encore dans mes souvenirs demander aux soignants s’ils allaient bien aujourd'hui. J'ai encore la vision de ses yeux dotés d’une patience d’ange pour attendre son tour de pansement les jours où nous étions bousculés par la charge de travail. Et je repense avec émotions à ce même petit bout de femme qui offre des chocolats à une collègue car c’était son anniversaire…
Comment lui rendre hommage à présent, en trouvant les mots justes, ceux qui seraient à l’image de son humanité courageuse et sensible ?
Alors, c’est en toute humilité et sincérité que je finirai cet écrit en m’adressant à elle, à son âme, avec toute la maladresse de mon coeur humain car je crois qu’il n’existe parfois rien d’assez fort et juste pour parler d’une personne merveilleuse mais je ne possède que ces quelques mots pour le faire dans cette vie...
Charlotte, infirmière par amour (été 2023)
Article 33 : Endolori
Souvent le soir, je m'assois avec eux et j'écoute leurs histoires. Ils diffusent des films envahissants en noir et blanc dans ma tête. Ils viennent percuter les sentiments contenus dans mon coeur qu’ils piétinent maladroitement. Mais ils ne sont pas méchants. Ils ont besoin de parler à ma tête et à mon coeur chacun leur tour.
S’exprimer.
La colère hurle de fureur dans ma tête et le désarroi endolorit les battements de mon coeur.
Quand l'aube vient, ils me disent que je ne peux pas rester avec eux pour toujours. Ensemble, ils me repoussent vers la vie. Une nouvelle journée commence. Un jour mes yeux resteront fermés pour toujours. Alors je dois y retourner. Je les écoute et je me lève pour tenter d'aller mettre du sens sur ce que la vie souhaite que je comprenne aujourd’hui. Aurai-je toujours ce courage ? Sur ces pensées je me retourne vers eux en leur disant :
« Je vous verrai ce soir ».
Tous deux me regardent car ils savent que je suis encore trop faible pour passer à autre chose et revivre. Ils me soutiennent d’une certaine façon.
On les croit dépourvu d’élan vital, nous ramenant vers notre médiocrité, nous enfonçant tragiquement vers ce que nous avons de plus incompréhensible.
Mais ils nous préviennent et nous informent sur nous-mêmes. Certes, avec une grande violence intérieure le plus souvent mais ils nous alertent que nous arrivons à un carrefour de notre Être, une partie cachée et sombre dont il faut prendre conscience si on veut retrouver la lumière.
On ne peut éviter d’avoir mal si on souhaite se développer et croître notre humanité.
Nos sentiments lourds, nos émotions dîtes négatives ne sont juste que des balises sur notre chemin et des repères nous informant sur notre complexité qui ne demande qu’à être mise en sens et adoucie par notre compassion. Nous avons aussi besoin d'arpenter nos ténèbres pour continuer à être des chercheurs de vie éclairés et aimants.