Article 4 : Souvenir du temps de mes études

A la fin de mes études d'infirmière (il y a quelques années jadis !), le diplôme d'état était délivré après une épreuve pratique (stage) et théorique (mémoire de fin d'étude). 
Malgré les difficultés qu'ont représenté cet exercice d'écriture, ce mémoire était passionnant à faire. Moi qui aime la dimension de l'écrit étant très réservée à l'oral, ce fût une belle expérience et un travail riche de réflexions.

J'avais terminé mon mémoire par une lettre que j'ai adressé à mon futur métier. Cela me permettait de clore plus de 3 ans d'études intenses et de commencer à me positionner en tant qu'infirmière. J'avais envie de m'adresser directement à lui, à ce métier qui m'attendait, afin de faire un "bilan"...D'autant plus qu'on m'avait dit durant mes études que je ne tiendrai pas dans ce métier voir même jusqu'au diplôme car j'étais trop idéaliste et que je prendrai des claques qui me décourageront. C'était mal me connaitre...! 

C'est en faisant du rangement récemment que je suis retombée sur ce mémoire : je l'avais intitulé "A fleur de peau". Mon sujet parlait de la dimension des émotions dans les soins infirmiers et ses limites telles que l'épuisement professionel.
 

Je partage ici ce souvenir, cette fameuse lettre ; Il est bon pour moi de relire tout l'optimisme et l'enthousiasme de la jeune diplômée de 24 ans que j'allais être à l'époque...car le plus dur étant de se rappeler sur la longueur que, malgré nos conditions de travail, il est important de garder cet élan positif pour travailler auprès des patients...





" 2.     Lettre à ma future profession 


Cher futur métier,


Il paraît que je suis idéaliste. Du moins, un peu trop pour pouvoir travailler avec toi "35 heures" par semaine. Et bien, je ne suis pas d’accord avec ça ! Au contraire, je pense que nous pourrions faire une bonne équipe toi et moi.
Je me revois m’engager dans cette formation, ce chemin houleux, qui est censé me faire parvenir jusqu’à toi, et dans peu de temps à présent, ça y est…je pourrai définitivement te rejoindre. Cela sera officiel, car l’état me délivrera un diplôme qui me permettra de vivre professionnellement avec toi.

Le temps passe bien vite. Je ne pensais pas que de me former à toi m’apprendrait tant de choses sur moi-même, sur les autres, sur la vie…Toutes ces émotions, toutes ces larmes, tous ces sourires, tous ces espoirs, toute cette souffrance, toutes ces rencontres… J’étais loin de savoir ce que cela signifiait « être infirmière ». C’est richement difficile et richement passionnant à faire, à être.
Pour pouvoir t’exercer pendant ces 3 ans de formation, j’ai du m’armer de courage pour m’adapter à toi, pour emprunter le chemin de la connaissance de moi-même et des autres, pour te pratiquer et pour comprendre les exigences qui te caractérisent. Je me rends compte que le temps m’aide beaucoup mais il n’est pas toujours mon allié car je le trouve trop pressé. Alors que le temps présent devrait retenir notre principale attention au quotidien.
Beaucoup d’étudiants, moi la première, se posent des questions sur toi tout au long de sa formation : au début tu attises vivement notre curiosité, puis tu nous fais peur par cette puissance qu’il nous semble devoir acquérir pour parvenir à toi. Ensuite, tu nous agaces profondément car il faut apprendre, apprendre, apprendre… pour que tu daignes nous accepter dans ton univers des soins. Et tu finis par nous attendrir car, en fait non, il ne faut pas être puissant pour faire les études que tu nous demandes afin de t’exercer un jour mais il faut être soi-même et un peu courageux car ta réalité est bien dure souvent. Et bientôt tu nous accepteras car on aura obtenu le diplôme qui nous permettra de rentrer dans ton univers des soins. J’ai hâte.

Je pense sincèrement que pour durer dans ce métier, il s’agit de tenir sur ce qui au début nous a motivé. Pour ma part c’est sans aucun doute le fait que j’aime les gens. Dans un métier aussi relationnel et vivant que celui de soignant, inutile donc de te dire que je me sens à ma place auprès de toi, même si tu me mènes la vie dure parfois ! Cette passion ne m’a jamais quitté. Jamais. C’est pour ça qu’elle a eu raison des nombreuses larmes que tu m’as fait verser. Ma conception des soins pourrait tenir en un mot : « apprivoiser ». J’aime beaucoup ce terme car il qualifie parfaitement et simplement le positionnement professionnel que j’ai adopté en tant qu’étudiante infirmière et sûrement, plus tard, en tant que soignante. En effet, il me semble que l’être-humain, dans le milieu professionnel dans lequel j’ai choisi de travailler, doit s’approcher avec discrétion et douceur. Je dirai même que le patient doit être approché « sur la pointe des pieds » pour tenter de tisser petit à petit un lien de confiance afin de permettre au soin d’exister. Et, sans oublier la dimension des connaissances, pour moi prendre soin relève avant tout du cœur.

Les patients que j’ai rencontré grâce à toi m’ont appris profondément ce qu’était la vie et la mort. Ces questions existentielles qui nous taraudent tellement. A mes yeux, le patient est acteur de sa vie et de son corps, qu’il soit à l’hôpital ou en dehors. La maladie n’enlève en rien ce positionnement chez le patient. Au contraire, en position de fragilité, il a d’autant plus sa place d’acteur car il se connaît et qu’il a ses propres ressources à mobiliser, des ressources qui sont une richesse, les siennes, car propres à chaque histoire de vie. Sans la prise en compte du patient comme étant un être humain acteur de sa santé et comme étant une personne qui a son propre cheminement, la dynamique de notre profession n’aurait aucun sens.

J’ai appris qu’être soignant c’est se mettre en position de se laisser toucher par la souffrance qui vient nous convoquer à une place à laquelle nous avons été peu formés et qui est de l’ordre de l’intime. La souffrance fait partie de la vie. Mais peut être que l’idée que chacun se fait de la souffrance est plus douloureuse que la cause de la souffrance elle-même : elle nous renvoie à nous-mêmes, à nos propres peurs d’enfants et aux traces qui en subsistent encore en nous. Ainsi une trop forte identification ou à l’opposé une indifférence voir un rejet rendra le soignant incapable d’établir une relation de soin adaptée. En tant que soignant il faut conserver un sens critique nous permettant d’interroger les situations de soins rencontrées, nous ne pouvons faire que des hypothèses car il n’y a pas une seule vérité et tout le positionnement soignant est là.
Je suis partie d’un défaut de « savoir faire » et j’arrive progressivement au « savoir être » comme racine de la relation quelle qu’elle soit.

A présent, je crois que le plus difficile reste à faire, c'est-à-dire mettre toutes ces réflexions en actes au quotidien sur le terrain, avec sensibilité et professionnalisme. Mais je me dis que quand on s’obstine à mettre un pied devant l’autre on arrive toujours quelque part…
J’espère que je deviendrai avec de l’attention, de l’élan et de l’expérience une infirmière avec qui « il fait bon travailler » et dont le plaisir serait contagieux. En plus, je peux te dire que je ne suis pas difficile, j’aime les relations dans tous ses éclats ! Et les patients ont besoin de sentir ce désir chez nous qui nous pousse à aller à leur rencontre…Je me dis que notre élan peut réveiller des envies qui sommeillent en eux. Alors ayons plaisir à travailler auprès d’eux, le soin commence d’exister par là à mes yeux.

Cher futur métier, maintenant il est temps pour moi de te dire : prépare-toi, j’arrive ! Et sache une chose, même « à fleur de peau », tu ne m’auras pas !


Charlotte

.:. A tous ces patients, passés, présents et futurs, qui ont fait, font et feront battre mon cœur de soignante .:. 


Article 3 : Au revoir monsieur M.

Un patient est décédé ce matin.

Une existence a atteint son terme pour toujours. Cela laisse en moi un sentiment étrange. Pourtant ces situations font partie de mon métier. Peut-on seulement "s’entraîner à côtoyer la mort" ? C'est une illusion car, même avec une blouse d'infirmière, je suis avant tout une personne qui a ses propres peurs et sa sensibilité. Je suis mortelle moi aussi et la mort des patients ne me le rappelle que trop bien. 

Je dois cependant conjuguer avec ces prises de conscience qui sont plus nombreuses dans mon quotidien que si j'avais choisi d'exercer un autre métier. 

Pour autant, à chaque rencontre avec la mort, je tente de la connaitre toujours un peu mieux ; Elle ne porte pas de manteau noir et n'a pas de masque effrayant comme on pourrait l'imaginer puisqu'elle ne représente à nos yeux qu'une image de peur et de tristesse.  

Ce matin, il me semble avoir entrevu une lueur différente dans la chambre de ce monsieur : et si la mort nous donnait seulement la main quand notre "contrat de vie" était terminé ? Pendant l'espace d'un instant, avant que la tristesse ne me regagne, j'ai essayé de considérer que la mort était aussi importante que la vie. C'est bien elle qui donne un caractère si précieux à notre existence et qui nous rappelle de ne pas oublier de vivre. Sans la mort, la vie n'aurait pas toute sa beauté. 
Dans ces moments là, ces moments de pertes, nous n'avons que l'amour comme point de repère. L'être-humain ne peut s'accrocher qu'à ça pour survivre lors du deuil. Parce-qu'au delà de la mort, le lien d'amour existe toujours...Ce lien indéfectible qui saura perdurer à travers l'absence physique car l'attachement n'aura jamais d'âge.


Dessin de Mickaël Fort


PS : merci à mon binôme aide soignant de cette nuit là pour son travail extraordinaire et à cette jeune infirmière qui a su gérer cette situation avec beaucoup de professionnalisme. Car sans un travail d'équipe, notre métier n'aurait aucun sens...


Charlotte, infirmière par amour