Article 9 : La souffrance

Cela remonte à quelques temps déjà, mes collègues et moi avons pris en charge une patiente pendant plusieurs semaines ; Cette patiente souffrait d'un cancer du colon qui a donné des métastases osseuses et, à cause de cela, elle côtoyait la souffrance depuis tellement longtemps...

Je me souviens bien de cette dame...Il y a dans l’interaction à autrui, des rencontres qui nous bouleversent davantage, sûrement parce-qu'elles viennent toucher en nous des blessures de notre propre existence qui sont encore ouvertes.
J'aime beaucoup la citation de cet auteur canadien : 
"Il y a des êtres qui nous touchent plus que d'autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes
, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque." 
(Anima Wajdi Mouawad).
L'Autre est ce miroir passionnant nous permettant de résoudre l'énigme de notre personnalité tout en venant l'enrichir de sa singularité. 

Lors d'une nuit de travail, je rentre dans la chambre de cette patiente que j'avais déjà pris en charge au cours des dernières semaines. Nous échangeons quelques mots puis je vais m'occuper de sa perfusion. Et là, après quelques secondes de silence, cette patiente, le regard dans le vide, me demande :

"Charlotte, pourquoi souffre-t-on ?"

C'est lorsqu'on nous pose certaines questions pour la première fois qu'on se rend compte que les réponses sont loin d'être évidentes...

Cette question est restée en moi, encore aujourd'hui, et elle me revient souvent en mémoire au gré des histoires de vie difficiles que j'entends dans mon métier. Comme tout le monde, il m'arrive de côtoyer la souffrance et d’avoir du mal à lui trouver une raison d'être auprès de l'être humain à cause de son retentissement si violent souvent...


Nous savons tous ce que cela fait de ressentir de la souffrance mais existent-ils des mots permettant de la panser ? Peut-on tenter de l'éviter ?

A vrai dire, il n'existe pas d'échappatoire à la souffrance, il faut vivre sa douleur car l'alternative serait bien pire...
Le premier pas pour apprivoiser cette souffrance qui nous envahit tous parfois c'est sûrement de lui donner du sens : la regarder avec courage pour arriver à la comprendre et parvenir à puiser en elle une force de vie.

La souffrance fait de nous des êtres particuliers, c'est ce qui nous donne de la beauté. Elle donne du relief à notre humanité en divulguant discrètement ce que nous avons de plus intime en nous, de plus fragile... 

Souffrir est une opportunité pour plonger au coeur de la vie et celle-ci est bien ce que nous possédons de plus précieux...

A côté de la douleur, on l'oublie, mais il y a l'espoir. Cherchons le sans relâche lorsque nous sommes dans l'obscurité. Car nous ne sommes que de passage sur terre alors osons prendre la vie à bras le corps pendant qu'il en est encore temps...


Charlotte, infirmière par amour


                                         

                                Dessin de Mickaël Fort

Article 8 : La maladie

Être malade, c'est un jour voir sa vie voler en éclats...La maladie crée au fond de nous une rupture qu'il faut tenter de surmonter. Mais c'est aussi une épreuve qui nous invite à repenser notre vie. 

Je crois sincèrement qu'il y a dans chaque tempête de l'existence quelque chose de précieux à comprendre sur nous. Et si on accepte de relever ce défi, nous pourrons nous positionner face à la maladie. 

Bien-sûr, la souffrance sera là et il ne s'agit pas de la réprimer. Mais ce qui compte, c'est de ne pas lui laisser toute la place. Cet élan nous permettra alors de trouver un point d'appui auquel nous raccrocher pour, dans un premier temps, survivre...

Puis, au fur et à mesure que nous ferons un pas devant l'autre, l'énergie de se reconstruire fera sa place en nous...discrètement et avec cette peur qui reste encore à apprivoiser mais le temps travaille pour nous.. Notre instinct de survie aussi.

L'expérience de la maladie devient alors l'occasion de changer, de laisser l'ancien derrière nous et de saisir l'opportunité de mieux comprendre qui nous sommes et ce que nous souhaitons vraiment faire de notre vie...une vie si éphémère que nous oublions malheureusement de vivre pleinement, pris dans le tourbillon des obligations du quotidien. 

Nous croyons bien souvent nous connaître mais nous vivons en fait dans une illusion de nous-même : notre éducation, la société, le regard des autres sont autant d'obstacles que nous ne parvenons pas toujours à dépasser pour nous positionner en tant que personne unique. Se démarquer dérange, la société prône davantage les bienfaits de la pensée commune et des comportements identiques. Dans les temps actuels, il n'est pas naturel d'être soi-même. Or notre singularité est un trésor et nous avons le droit de la revendiquer. Nous nous le devons à nous même. 

Et la maladie nous le rappelle. Certes, avec une grande violence. Mais porter un masque et ne pas être qui l'on est réellement, n'est-ce pas là aussi une véritable violence envers nous même que nous nous infligeons chaque jour ? 

A force de croire des choses sur nous-mêmes, nous finissons par devenir ce que nous croyons être. Il ne reste alors plus qu'une possibilité pour notre corps de s'exprimer : la maladie comme langage.

L'incertitude, le sentiment de malaise sont d'excellents points de départ pour découvrir, croître, changer. Il s'agit de lâcher prise sur la personne que l'on était avant, et de trouver le courage de se relancer dans l'aventure de sa propre existence. Car il n'y a pas qu'une seule version de nous-même. 

La vie est faite de ruptures et elle nous pousse malgré nous à bâtir à nouveau des repères que l'on a pourtant mis si longtemps à construire parfois... quelle frustration ! Et pourtant... 

Accepter de renoncer à certaines choses, certains schémas que nous avions élaboré pour surmonter les difficultés de la vie mais qui finissent aujourd'hui par nous emprisonner. Lâcher prise sur ses peurs. Renoncer pour mieux se comprendre. Ce chemin est douloureux mais je comprends mieux avec le temps pourquoi il est essentiel...

Finalement, il faut du courage pour affronter la maladie mais il en faut encore plus pour oser découvrir la profondeur de notre humanité.


Charlotte, infirmière par amour

(septembre 2020)




(tableau de Aude Vergori)