Article 7 : Un métier difficile

J'aime parler de mon métier dans ce qu'il m'apporte de beau.
Mais récemment, on a pu entendre parlé dans l'actualité d'un sujet grave : celui des suicides de certains soignants. Rien que d'écrire ensemble les mots "suicides" et "soignants" me fait froid dans le dos et pourtant...c'est malheureusement une réalité aujourd'hui. Plus que jamais.

Si je veux être complètement honnête dans ce que je rapporte du métier d'infirmier dans mes écrits, je dois avouer qu'il existe une facette très sombre de ma profession que je n'ai pas encore évoqué. Par pudeur, sûrement, et parce que je cherche toujours la beauté de la vie partout où je vais. Ce n'est pas que je rejette toute forme de souffrance car elle permet aussi un apprentissage précieux mais je veux garder un regard positif sur ce qui m'entoure afin de continuer à y puiser de la force pour justement affronter, parfois, le désarroi de l'existence. Et dans mon métier, les moments de souffrance existent...
C'est ce dont je voudrai parler maintenant car c'est important aussi de pouvoir exprimer ce qui ne va plus.

Depuis longtemps, il demeure des problèmes d'organisation et de considération dans le système de santé en général qui épuisent le travail soignant et qui brisent des rêves...Celui principalement de vouloir travailler dans le "prendre soin" et dans l'humanitude. Comment prendre le temps de sécher des larmes et tenir une main quand les services sont lourds, surchargés, et que nous travaillons toujours plus en sous effectif ? Suppression des postes, glissement des tâches, pression hiérarchique...sont notre lot au quotidien.
Nous mettons chaque jour en danger notre diplôme, ce "bout de papier" obtenu avec douleur, courage et en travaillant dur. 
Nous mettons aussi la vie des patients en danger en nous imposant de travailler dans des conditions dramatiques : en effet, dans de plus en plus de structures de soins il faut soigner à la course, à la chaîne. Nous travaillons de plus en plus dans le stress et nous embauchons souvent la boule au ventre...

Aujourd'hui, être infirmière, c'est souvent être à bout de souffle.
Comment prendre soin de la vie quand la notre est fragilisée par un système de santé qui ne nous reconnait plus ? Les responsabilités sont grandes et au delà du salaire qui n'est pas à la hauteur de notre travail au quotidien, le plus grave reste le manque de moyen humain et matériel avec lesquels nous devons coûte que coûte travailler quand même...

C'est aberrant que tout cela se dégrade lorsqu'on se dit que nous prenons en charge des êtres-humains, des vies, et non des machines...La vie humaine aurait-elle si peu de valeur ? Je n'arrive pas à comprendre ce système dans lequel nous luttons pour soigner car tout le monde a et aura un jour besoin de soins. Et ça serait bien que ceux qui dirigent notre système de santé en aient conscience ou ils risquent de rencontrer des soignants toujours plus épuisés ; Des soignants qui appliqueront des prescriptions sans y mettre de sens et de coeur car ils n'en n'auront plus la force...

Un article sur le site "Infirmiers.com" m'a ému par l'intensité du témoignage recueilli. Il s'agit de Leslie, une infirmière qui souffre d'épuisement professionnel. Voici son vécu douloureux car, oui, c'est aussi cela notre réalité professionnelle quand on est soignant :



" Malheureusement, ce si beau métier me ronge. Diplômée depuis 4 ans, j'ai enchaîné les remplacements, les postes pour lesquels je n'avais pas vraiment d'intérêt. Projet professionnel ? Combien de temps ai-je pu passer à rêver à ce doux mot ? Le mien était de travailler en psychiatrie puis accéder au statut de cadre avant de reprendre quelques années d'études et d'embrasser un doctorat en sciences infirmières. Projet ambitieux. Je suis de celles qui foncent tête baissée. Ces têtues et acharnées, ces passionnées… celles qui aiment apprendre, mieux connaître pour mieux donner. En 2012, je me retrouve rapidement confrontée à la réalité du terrain. Pas de poste en psychiatrie. Mon quotidien me contraint à accepter le poste qui me sera proposé. L’hôpital public m'ouvre ses portes et m'enfonce petit à petit dans son engrenage. Je suis désormais un « numéro de paie », un matricule quasi carcéral qui me permet d'être identifiée. Aux vues de mes résultats scolaires et de mes capacités d'adaptation, je suis nommée « infirmière équipe secours ». Je suis donc chargée de venir au secours non pas des patients mais des services en manque de personnels. Je vogue d'un service à l'autre, pour pallier, du mieux que je peux, à l'absentéisme. Les doublures sont rares bien que la cadre de santé se batte pour m'offrir un minimum de formation. Mais en quelques mois, je suis éreintée. Perdue. Ces changements perpétuels me fatiguent. J'admire mes collègues qui s'adaptent à toutes situations. Je n'en suis pas. J'ai besoin de calme, de maîtrise et de temps dans ma prise en charge.
Deux ans après l'obtention du fameux sésame, celui dont j'ai tant rêvé, j'étais face à un mur. Dans les moments les plus difficiles, la vie offre des issues et c'est à ce moment que mon petit garçon s'est immiscé dans ma vie. Ma bouffée d'oxygène. Pourtant, quelques semaines après ma reprise, ce fut la désillusion. À nouveau nommée à un poste d'infirmière équipe de secours, les difficultés allaient en grandissant. J’étais affectée à un pôle technique, de chirurgie et soins intensifs. Après deux années auprès des personnes âgées, la reprise fut difficile. Seule, je devais injecter des produits inconnus, répondre à des questions sur des pathologies dont je connaissais à peine le nom. C'est la boule au ventre que je me suis rendue chaque jour à mon poste de remplacement. Après deux erreurs rattrapées de justesse, je courbais toujours plus le dos, baissais un peu plus la tête. Je m’enfermais dans la certitude que je ne valais plus rien. Ce métier auquel j'avais tant rêvé me torturait le corps et l'esprit. Manque de reconnaissance, d'appartenance, fatigue psychique… je ne me sentais plus apte à rien, ni même à donner l'amour d'une maman à son enfant. Un jour, j'ai donc déposé mon petit garçon puis suis partie comme chaque jour enfiler ma blouse. Mais ce jour là, je ne rêvais plus de ma tenue blanche. Je ne rêvais plus de rien.
Assommée par mon incapacité globale, mon dégoût de moi-même, j'ai pensé au pire. J'ai honte.
Mon récit est celui de dizaines d'autres. Déshumanisation, manque de moyens, de personnels et d'ambition, travail à la chaîne, nous sommes poussé(e)s à bout. A bout de rêve, à bout de souffle, à bout de vie. Nous mettons de côté notre famille et notre quotidien pour la santé et le bien être des plus fragiles. Nous acceptons l'inacceptable, touchons la mort et flirtons avec la vie. " 


J'admire cette infirmière pour son courage de témoigner car c'est tellement dur d'avouer qu'à un moment donner, on n'y croit plus et on n'y arrive plus...
Je pense aussi à des collègues et amis qui sont épuisés par ce métier et qui, pour certains, ne peuvent plus l'exercer aujourd'hui. 
Je veux aussi encourager tous ces soignants qui souffrent, encourager ceux qui restent, dire aux soignants qui sont malheureux combien je les comprends...et je voudrai vous remercier de vous être un jour engager corps et âme dans ce métier difficile mais unique.

Merci à tous ces infirmiers d'être encore là, de tenir bon, et d'avoir en vous des valeurs humaines à offrir en dépit des conditions de travail qui nous malmènent. Dans le fond, c'est un des plus beaux métier du monde mais seulement grâce à VOUS qui le portez à bout de bras et avec beaucoup de cœur. Merci pour ça...





" Le métier d'infirmier a besoin, lui-même, d'être panser..."
Charlotte, infirmière


* Article complet que l'on peut retrouver sur le site "Infirmiers.com" :
https://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/presentation/suicides-infirmiers-aurais-pu-etre-sixieme.html