Article 21 : " Existe-en-ciel "

Quand j'étais enfant, les questions existentielles jaillissaient bruyamment aux quatre coins de ma tête. Une véritable zizanie ! Je me confiais à mes ours en peluches : ils étaient silencieux mais, au moins, j’avais la douce impression d’être écoutée. 
Un jour, dans le flot de mes interrogations, une question attira plus particulièrement l’attention de la petite fille que j’étais alors :

« Mon Cœur, celui qui permet d'aimer tant de choses et de gens différents, est-il toujours au même endroit ? »

Au-delà de la naïveté qui m’enveloppait précieusement à l’époque, témoin de la présence de l’enfance en moi, c’était une vraie question à mes yeux et elle avait une importante capitale. Les sentiments, les émotions, la curiosité, la peur, les désirs, les palpitations…Je le sentais s’exprimer partout ce Cœur et de mille et une façons. 
C’est alors que j’ai commencé à chercher, au fil des âges, des bribes de réponses à une interrogation compliquée pour les adultes qui m’entouraient mais très censée pour l’enfant que j’étais et qui n’aspirait qu’à dialoguer avec la vraie nature des Hommes. 
J’ai trouvé une première piste de réflexion lors de mes études à l’école : j'ai appris en cours de Sciences Humaines que, oui, le Cœur reste toujours au même endroit : dans la poitrine, à gauche. Il pompe la vie. Et quelle puissance ! Il semble si fragile et si fort à la fois. Même quand le corps se dégonfle face aux difficultés, le Cœur, lui, courageusement gonfle…et il bât, même quand il se retrouve seul face aux tempêtes de l’existence.

Cependant cette réponse ne m’a pas suffi. Elle était si pauvre face à la complexité de ce que je ressentais…Du coup, j’ai continué à chercher. Mais ma quête s’est avérée souvent décevante car les adultes que j’interrogeais durant mon enfance n’avaient que des paroles distantes et superficielles à me donner. Ma question leur semblait amusante derrière leurs pas pressés que je n’arrivais pas à suivre avec mes petites jambes : ils piétinaient chaque jour leur vie sans jamais respirer. Les adultes se sont délectés de ma naïveté. Et cette question a commencé a déchiré Mon Cœur. Y-avait-t-il quelqu’un pour m’écouter ?

Alors j’ai interrogé les Livres : eux, ils sont affectivement moins radins et ont eu la patience de donner du sens à ma question existentielle sans les regarder avec des yeux de merlan frit ! Oui, il faut le dire, on a sacrément sympathisé eux et moi. Ils m’ont conté pleins d’histoires et encore aujourd’hui, ce sont de merveilleux amis. Comme quoi, les relations d’amour sincères existent. Celles qui ont un goût d’éternité…

C’est ainsi que j’ai été invitée dans leur maison enchantée. Ils habitent « rue de La Bibliothèque ». A chaque visite, les Livres m’ont ouvert leur monde riche et merveilleux. Quel privilège ! Mon Cœur est tout simple pourtant, il n’a rien d’extraordinaire. Mais les Livres m’ont offert des trésors de bienveillances en me racontant combien j’étais unique à leurs yeux. Et précieuse. 
Grâce à eux, j’ai pu trouver des étincelles de sens à ma question de petite fille : alors voilà, Le Cœur vit dans des milliers d’endroits différents, sans habiter vraiment nulle part. Le Cœur a milles visages s’adaptant ainsi à la complexité de ce que nous sommes.

Quelle fabuleuse découverte je faisais ! Grâce à cette compréhension, j’ai pu rendre visite à Mon Cœur maintenant que j’avais trouvé toutes ses cachettes. J’ai d’ailleurs beaucoup voyagé à l’intérieur de moi et j’ai trouvé Mon Cœur dans tous ces endroits ;

-          Il peut se blottir dans ma gorge quand je suis émue.

-          Il peut nouer mon estomac quand j'ai peur.

-          Il peut tomber dans mon ventre quand je suis bouleversée.

-          Il peut vouloir sortir de ma poitrine quand je ressens beaucoup d’amour.

-          Il peut changer d’émotions au gré de mes pensées quand je contemple le monde.

Autant vous dire que ces visites n’ont pas été de tout repos ! Mais, ce jour-là, je dois l’avouer, Mon Cœur m’a sacrément impressionné : en son creux naissaient de multiples sentiments qui circulaient dans tous mon corps et me permettaient ainsi de découvrir et de ressentir les différentes nuances de la vie.

Puis, une fois adulte, j'ai pris Mon Cœur pour le poser dans d’autres humains. Malheureusement, il revient souvent un peu cabossé. Mais j’essaie de ne pas trop m’inquiéter car Mon Cœur est toujours lui quand même. Je me dis qu'il est même encore plus beau comme ça. Car il sait aimer passionnément. 

Mais cette beauté, je n’en ai pris conscience qu’après beaucoup beaucoup de temps car il m’a fallu auparavant affronter encore pleins de nouvelles questions qui sont venues habitées les quatre coins de ma tête. Alors j’ai dû reprendre ma quête pour chercher des nouvelles réponses. C’était reparti !

La quête fût plus longue cette fois : l’adulte est moins confiant que l’enfant qui, lui, est tourné plus naturellement vers la vie. J’ai quand même fait des petits pas et grâce à ce chemin de compréhension, des notes de sens sont venues câliner la douleur qui a cabossé parfois Mon Cœur avec un sacré entêtement. C’est un voyage intérieur qui est long. Il faut affronter de gros orages. Mais, à l’horizon, j’ai pu apercevoir la douceur des levers de soleil qui apaisent certains chagrins d’existence. Pas tous…Une grosse larme au bord du cœur peut rester. Inconsolablement demeurer. C’est comme ça. Nous sommes humains, c’est tout. 
D’ailleurs c’est là que j’ai découvert un nouvel ami : il s’agit du Temps. Il travaille pour nous et il nous chuchote à l’oreille qu’on peut continuer à marcher malgré tout car il restera avec nous jusqu’au bout.
Mais, une nuit, il a fait très froid. Sans prévenir, un jour terrible est arrivé : Mon Cœur s'est affaibli de tout…La Vie était partie se recharger ailleurs. Je lui en ai voulu. Beaucoup. Mon Cœur ne laisse jamais tomber personne lui ! Il bât tout le temps sans exigence envers le monde à part celle d’avoir un peu de place pour exister…Ce départ semblait injuste. Mais il l’aime très fort cette Vie alors il a mis pleins de pansements sur sa colère et il a repris le chemin de la quête, encore une fois. 
Malheureusement, cette quête-là fût plus longue encore que toutes les autres. Je peux même dire qu’elle a été déchirante. Mon Cœur s'est épuisé à chercher la Vie partout.

-          Il a été interrogé un souvenir en s’exposant à la douleur du manque.

-          Il a respiré un parfum d’antan en affrontant l’odeur de la nostalgie.

-          Il a questionné le regard d’un passant en se heurtant à la froideur du monde.

-          Il est même allé fouiller dans le passé s’adressant courageusement à ses blessures d’autrefois...

Mais rien…La Vie demeurait introuvable. Pendant que le chagrin prenait racine dans mon Cœur, c’est sa voisine, la Mélancolie, qui s’est proposée de prendre la chambre d’amis. 
Alors, trop fatigué, il a lâché. Pas abandonner, non, ça jamais ! Plutôt mourir ! Mais Mon Cœur a lâché prise sur ses attentes et il s’est occupé un peu de lui. 
De temps en temps, la Mélancolie lui tenait compagnie pour boire un thé chaud le soir sur le canapé. D’ailleurs, elle n’est pas aussi désagréable que les Humains le disent et elle peut même nous aider à nous comprendre. En l’écoutant, j’ai compris que la Mélancolie a en fait le même besoin très fort que tout le monde : celui d’être aimé. 
Petit à petit, on s’est apprivoisé et elle a rejoint mon cercle d’amis : avec les Livres, Le temps et La Mélancolie, nous formons une sacrée équipe ! J’ai de la chance de les connaitre. Nous sommes tel un quatuor musical qui apprenons par nos similitudes et nos différences à jouer tous ensemble la mélodie du moment présent plutôt que celle du futur qui n’est pas encore née et qui intéresse tant les Humains. On a découvert de l’apaisement comme ça. Mon Cœur a été chouchouté fidèlement par ces trois précieux amis que je remercie du plus profond de mon Être de rester à mes côtés contre vents et marrées. Et cette fidélité est si rare à rencontrer.
Puis un jour plus doux est arrivé. Je me souviens, c’était le mois du printemps : la nature s’était réveillée d’un long sommeil hivernal. Mon cœur avait grandi en se levant se matin là. Et un peu vieillit aussi. 
C'est là qu'un jour spécial a pointé le bout de son nez : un autre jour plus important encore que tous les autres. La mélodie du moment présent que nous avons joué si longtemps avec mes trois amis a été entendue : la Vie a regagné Mon Cœur…Quel émoi ! Il a débordé de tout mais surtout d’amour. La Vie était là et elle avait un goût délicieux que je découvrais pour la première fois.

Durant ce jour précis, j'ai réussi à atteindre le sommet de ma propre montagne intérieure. Un véritable exploit : m'aimer. Il faut dire que la Vie m'avait vraiment manqué. J’ai même osé lui dire.

Alors la Vie et Mon Cœur ont noué un lien particulier et unique au monde. Vous savez, ce sentiment puissant et indéfectible qui nous donne foi en ce que nous sommes. En l’ayant perdu, j’ai réalisé que je n’avais pas été assez attentive à la Vie. En me focalisant sur les lendemains lors de mes nombreuses quêtes de sens, je l’ai trop négligé et elle m’a confié s’être sentie oubliée. Je me suis excusée. Et c’est comme ça que la Vie a rejoint, à son tour, mon cercle d’amis si singulier. Pour vivre tous ensemble dans la simplicité précieuse du moment présent.

« Une nouvelle existence a commencé pour moi et Mon Cœur :

le reste de la Vie à nous aimer jusqu’au ciel. »

 

Charlotte, éternelle petite fille


* photo Charlotte Vergori