Article 2 : Mme F.

Mme F, 64 ans, un petit bout de femme coquette et attachante souffre d'un cancer de l'ovaire. Après un traitement par chimiothérapie, une chirurgie, puis à nouveau de la chimiothérapie post opératoire, elle se retrouve avec une "poche sur le ventre" ou le terme médical "stomie"*
(*abouchement d'un segment de tube digestif à la peau).

Cette "poche", Mme F doit la vidanger de ses selles plusieurs fois par jour et ce cauchemar dure depuis de longs mois...
Je n'ose imaginer le quotidien de cette femme : devoir vidanger sa stomie, voir son ventre n'être plus ce ventre de femme qu'elle avait connu, tous ces sentiments de souffrance, de honte, de tristesse qui sont si lourds pour son cœur 
d'être-humain et qu'elle doit, malgré tout, porter chaque jour de sa vie...
Quel insoutenable sentiment de constater que son propre corps ne lui appartient plus...

Mme F. est hospitalisée dans le service où je travaile afin de faire ce que l'on appelle "un rétablissement de continuité" permettant le retrait de cette stomie. En somme, une opération pour "rétablir l'ordre des choses". Cette patiente l'attend depuis longtemps afin de retrouver sa dignité...


Je prends mon poste un vendredi soir à 20h et le service de réanimation m'appelle une heure plus tard afin que l'on vienne redescendre cette patiente dans sa chambre. Une patiente, Mme F, qui n'a pas pu être opérée et qui va réintégrer le service comme elle en était partie le matin : avec une stomie sur le ventre...
C'est dans ce contexte que je fais connaissance avec Mme F.

Bien-sûr, elle n'est pas au courant. Bien-sûr, aucune annonce ne lui a été faite. Et bien-sûr , ce sont nous, les soignants, qui allons passé 10h auprès d'elle sans pouvoir rien lui dire car le médecin doit faire la première annonce et il a débauché...Mais le patient continue de vivre la nuit : en post-opératoire les nuits sont souvent blanches et les questions nombreuses, douloureuses.


Une nuit interminable de travail commence pour moi et ma collègue aide-soignante. La patiente est lucide, elle la sent cette poche, puis elle la voit...Comme nous restons évasives concernant ses questionnements et que Mme F est fatiguée, je vois qu'elle commence à lâcher prise en s'accrochant à un espoir : celui que, demain, le chirurgien lui racontera que tout s'est bien passé et que cette poche lui sera enfin retirée ce week-end. Comment surmonter l'angoisse de la nuit sinon ? 
L'espoir est un bien si précieux quand on souffre...Cependant cet espoir sent tellement le mensonge pour moi que j'en ai mal au ventre et je me sens responsable de cet "espoir mort" car je ne le démens pas.

Je retrouve Mme F. le samedi et dimanche soir. Deux journées éprouvantes se sont passées pour cette dame qui aura finalement eu la terrible annonce : à cause de la découverte de nouveaux nodules abdominaux, le rétablissement de continuité ne peut pas avoir lieu pour l'instant. La déception détruit en elle tellement de choses à ce moment là : l'envie de vivre principalement...

Nous l'accompagnons tant bien que mal tout au long de ce week-end entre larmes, insomnies, et douleurs physiques.

Cette dame est au summum de la tristesse et, hier lors de ma dernière nuit de travail auprès d'elle, Mme F. pose sa main sur mon bras, me regarde dans les yeux et me demande :

"Et vous, comment allez vous ?"
Sur le moment les mots me manquent tellement je suis touchée...
Je rencontre en cancérologie des personnes qui arrivent à développer au contact de la maladie des ressources lumineuses et extraordinaires. Mais, pour certains, la douleur morale est si insoutenable que la souffrance les emprisonne à eux-mêmes et leur attention est mobilisée par ce corps malade qui leur demande tellement d'énergie. Et comme je les comprends...

Alors il m'est arrivé peu souvent d'entendre un patient me demander comment j'allais. Et cette patiente, qui vient pourtant de recevoir une nouvelle qui bouleverse à nouveau sa vie de façon si douloureuse, a encore de la bienveillance à offrir aux autres. Dire que je suis profondément émue est si peu de chose à coté de ce que j'ai vraiment ressenti hier soir.
Certaines personnes ont une bonté d'âme indescriptible.


Je terminerai cet article par une magnifique citation qui m'est chère. Cette de
Simone Weil, philosophe, qui va si bien à cette patiente : 


" L'attention est la forme la plus rare et la plus pure de générosité "




"A Mme F, puisse la vie vous offrir des moments de tendresse chaque jour..."


Charlotte, infirmière par amour

Article 1 : Pensées




J'ai de l'espoir en la beauté de l'humanité quand je passe la nuit auprès de patients dont le cancer a envahi leur corps, leur vie à tout jamais, que l'espoir en eux s'est assoupi...et que malgré ça, quand je rentre dans leur chambre, ces mêmes patients ont le sourire, de l'attention pour l'autre, et encore de l'élan bienveillant pour exister et échanger...
On perçoit pourtant la tristesse et le désarroi au fond de leurs yeux, on devine si facilement qu'ils sont hantés par la fragilité de la vie et leur corps qui ne leur appartient plus...ce corps qui leur échappe, happé par la maladie...
J'ai une grande admiration pour cette patiente qui était en rémission et qui se retrouve en fin de vie, pour cette douce enseignante accompagnée par sa jeune fille extraordinaire, pour cette maman de deux enfants en bas âge avec son regard si doux, si profond... Je vous admire chers patients...et surtout je vous souhaite de vivre au présent, notre bien le plus précieux et d'oser fêter la vie puisqu'elle est encore là.


Charlotte, infirmière par amour