Article 36 : La relation soignant / soigné

Lorsque j'ai repris ma vie professionnelle après une pause pour prendre soin de ma famille, c’était au cours de l'été 2020 dans un SSR. J'ai dans le même temps repris l'écriture ( à défaut du sport 😅 ) car les mots sont pour moi un espace sécurisant tel un cocon emplit de tellement de liberté pour exprimer la profondeur qui nous constitue en tant qu’humain.
C’est ainsi que je vais les utiliser à nouveau pour parler de Mme P.
Je me souviens d’avoir accompagné avec mes collègues dans ce SSR cette patiente souffrant d'un cancer du poumon métastasique ce qui m'a rappelé le tout premier service dans lequel j'avais exercé à l’époque: la cancérologie. Cette maladie brise instantanément le cours d’une vie humaine au moment même où le mot « cancer » est prononcé. Un mot qui s’impose de toute sa violence pour définir le corps de l’Être qui doit subir en lui sa présence inopportune.
Je suis tellement admirative de leur combat au nom de la vie qui débute alors. Certes, ils n’ont pas le choix vous me direz mais c’est justement quand on est brisé que deux possibilités se présentent à nous : celle d’abdiquer sous le poids de la douleur ou celle de se choisir encore plus fort envers et contre tout.
Au cours des épreuves qui se dressent sur notre chemin, la vie nous demande alors de nous positionner encore plus ardemment. Pour se faire, il va falloir puiser en nous toutes les forces que nous possédons : certaines nous les connaissons, découvertes dans des épreuves passées et que nous pouvons remobiliser à nouveau mais d’autres sont à explorer. Car c’est justement dans ces ténèbres d’existence que nous pouvons rencontrer la lumière de la résilience. Sans la noirceur de la vie, jamais nous ne pourrions découvrir et développer cette incroyable ressource de notre humanité. Nous la possédons tous tel un trésor caché et enfoui sous nos décombres intérieures et prête à dégainer sa hargne et sa puissance en l’honneur de cette vie éphémère dont nous voulons savourer encore quelques instants...La résilience c’est cette guerrière de la vie qui sommeille en chacun de nous et qui se révèle quand notre vie est menacée : elle est là pour nous venir en aide et nous aider à porter notre vie fragile afin de lui redonner toute sa légitimité malgré les fissures qui peuvent advenir.
Et je voudrai dédier ce texte à Mme P. cette combattante de la vie qui a connu tellement de drames à travers la perte de son mari et de son fils et qui se retrouve seule aujourd’hui à faire face à la maladie. Mais Mme P. est debout devant moi. Elle est en vie et le revendique avec beaucoup de courage. Cela ne minimise pas ces jours où Mme P. s’est retrouvée les deux genoux à terre dans une indicible douleur...Mais aujourd’hui elle est là, plus vivante que jamais et me regarde droit dans les yeux avec une profondeur désarmante et une posture bien ancrée dans l’existence.
Cet accompagnement soignant / soigné si intense et particulier à la fois m'avait marqué…Je suis tellement reconnaissante d'apprendre et de me construire en tant que soignante mais surtout en tant que personne à travers des rencontres aussi enrichissantes et emplies d'humilité. Malgré le chamboulement intérieur que l’accompagnement des patients peut provoquer en nous, il est une chance pour mettre toujours plus de sens à la vie : chacun est libre de choisir d’accueillir avec distance les émotions inhérentes à la relation au patient ou bien de les vivre comme une aventure humaine à la découverte de qui nous sommes.
Dans tous les cas, il est important de reconnaître que les émotions font parties de la dynamique du métier de soignant. Et plutôt que de les fuir ou de les ignorer, peut-être pourrions nous simplement les écouter car elles crient parfois intensément faute de se faire entendre se fracassant sur notre blouse blanche telle une armure que nous porterions face à l’inconfort de sentir notre coeur vaciller au contact d’une autre vie humaine.
Pourtant, même si le « savoir faire » est une compétence importante mais qui s’apprend dans les livres et dans la pratique encadrée de protocoles et de prescriptions médicales, « le savoir être » est un tout autre apprentissage. C’est ce petit bout de nous qui nous rend terriblement humain et singulier en tant que soignant, il ne peut s’apprendre que si nous acceptons de nous ouvrir à une dimension que nous ne pouvons pas apprendre dans un protocole de soin mais en invitant la partie la plus authentique de nous-même. C’est avec cet aspect plus vulnérable de nous que nous pourrons aller nous asseoir auprès de nos patients pour construire une relation soignant / soigné riche car dans une conscience de la vie partagée des êtres fragiles que nous sommes tous.
Être soignant est une vraie promesse, un serment qu’il faut honorer : mais pour s'engager dans la relation de soin et dans ce rapport complexe soignant/soigné il faut pouvoir élaborer une réflexion personnelle en tant qu’humain sur ses rapports avec autrui car notre contact aux autres est marqué par notre histoire de vie. Nous en sommes tous là que nous soyons soignants ou soignés.
Et en s'engageant auprès des patients, nous devons pouvoir accepter d'être touché émotionnellement par l'autre. C’est ainsi que nous évoluons dans la connaissance de soi car nous ne finissons jamais d’en équilibrer, adoucir et réparer certains aspects. De cette façon, nous oeuvrons en faveur d’un monde plus humain pour aujourd’hui et pour demain…C’est la responsabilité de chacun.
Je me sens tellement honorée d’avoir rencontré cette patiente qui m’a offert des instants gravés dans ma mémoire à travers son accompagnement des soins ponctués de tant d’émotions. C’est dans cet espace délicat qu’elle m’a partagé sa vie singulière et si j'ai pu lui apporter de l'écoute, elle m'a en retour invité à me questionner sur l'essentiel de la vie que nous perdons de vue dans notre quotidien effrené et sur l'importance de vivre chaque jour comme si c'était le dernier car l'éphémère concerne la vie de chacun d'entre nous…
Cette confiance mutuelle et réciproque que nous nous sommes offertes fût une joie pleine de pureté et de vérité : comme un sentiment de paix profonde d’être en vie et que nous avons partagé malgré les difficultés de l’existence. Car rien ne peut remplacer la présence humaine, c’est le trésor le plus vrai que nous possédons et qu’il faut partager sans modération tant que la vie est là...


Mme P.
C’est avec tant de gratitude que je vous dis merci…
Accompagné de l’éternité des sentiments 💙



Charlotte, 1er mai 2024

" Etre infirmière c'est aimer,
soulager l'autre de ses croyances,
du tracas d'exister,
lui permettre de s'évader de ses peurs
en étant là, avec lui."
Alexandre Jardin💙




(Photo C.Vergori)