Article 30 : Besoin du "Nous"

Nous avons besoin des autres. 

Voilà une vérité bien déchirante dans notre société actuelle qui prône au contraire la liberté individualiste et entretien une concurrence face à nos semblables qui se veut toujours plus sans pitié…
Nous pensons à tort que, plus nous luttons face à l’autre, plus nous pouvons devenir forts et uniques. Mais tout ceci n’est que fantasme et apparence. Et je dirai même qu’en nourrissant cette croyance, nous devenons toujours plus fragiles et sans défense face à la vie.

Il est temps de revenir à plus de conscience sur notre fonctionnement humain et il est même urgent de se reconnecter les uns aux autres dans un but commun : celui de parvenir à être plus authentique et justement des Êtres singuliers et indépendants tout en étant en lien. Car soyons honnête, nous ne pouvons grandir sans une main tendue, nous ne pouvons accéder à la connaissance de qui nous sommes sans le miroir de l’autre et nous ne pouvons développer notre bienveillance qu’au contact d’une autre humanité que la nôtre. Et il n’y a aucune fatalité à tout ça. Au contraire, il n’y a dans toute cette approche que des opportunités pour devenir pleinement soi.

Il suffit de revenir à l’aube de la création de notre Être car ce besoin de l’autre est inscrit dès notre venue au monde : à la naissance, le bébé ne pourrait pas survivre si nous ne prenions pas soin de lui. N’oublions pas que nous naissons à la vie en étant sans défense et dans l’incapacité de pouvoir survivre seul. Le petit être que nous sommes au départ a besoin de soins alimentaires, d'hygiène, de stimulation intellectuelle pour croître, s’éveiller…et il a aussi un grand besoin d'amour. Un sentiment puissant et partagé avec son nourrisson par l’interaction des regards, des mots, du touché, de la présence humaine. Nous sommes nourris de tout ça depuis les premiers instants de notre existence in utero, puis à la naissance et ensuite tout au long de notre vie humaine.

Je pense que nous gardons en nous cette trace indélébile, cette vulnérabilité. Nous sommes faits de cet élan de dépendance au monde. Nous nous sommes construits comme ça. Et je pense même que nous sommes justement venus vivre tout ça en venant un jour sur terre car c’est à travers le besoin que nous pouvons comprendre les pièces du puzzle qui manquent à notre cœur afin de s’épanouir pleinement. Comment connaitre ce qui nous anime, ce qui nous inspire, ce qui nous manque, ce qui nous limite, ce que nous devons panser en nous, ce que nous pouvons développer et construire sans le lien à l’autre ? Nous sommes liés à la vie et à tout ce qui est animé par cet élan, cette énergie, c’est-à-dire que nous sommes liés à l’humain, aux animaux, à la nature …Tout ce qui est vivant. Et c’est en accueillant cette vulnérabilité de dépendance que nous pouvons construire pas à pas une indépendance d’amour en nous et vivre dans un équilibre partagé entre soi et l’autre pour avancer tous ensemble.

Nous ne quittons jamais ce besoin de l’autre mais nous nous obstinons à penser, au contraire, qu’il le faudrait pour arriver à vivre pleinement. Mais est-ce là un but à atteindre au fond ? Je pense que ce besoin s’accompagne, se transforme et s’exprime de façon différente depuis notre naissance et tout au long de notre vie : une fois que le jeune adulte a appris à se séparer de sa famille dont il a eu besoin durant la première partie de son existence, il part ensuite à la rencontre du monde extérieur pour construire sa propre vie et va alors développer d’autres liens relationnels en fonction de ce qu’il aura besoin d’apprendre et de nourrir en lui. Tout comme son propre cœur, ses failles et ses forces pourront enrichir et éclairer d’autres humanités.

Nous vivons dans une société qui prône sans cesse l’indépendance, la performance...du coup nous pensons que vivre heureux c’est être détaché des autres. Mais j'ai l’impression qu’à partir du moment où on aime que ça soit un lieu, une activité, une personne, un animal…il y a une certaine dépendance qui se crée à travers le lien. Et il suffit de le voir très simplement, comme un fil invisible qui anime une énergie d’amour entre deux pôles. Ce lien de dépendance peut se révéler d’une grande liberté lorsqu’il est bienveillant et constructif. Notre bonheur de vivre est ainsi alimenté par ces liens divers de la vie et qui nous aident petit à petit à être nous-même, véritablement. Il n’y a pas qu’une seule façon pour devenir nous-mêmes mais je pense qu’un des chemins à emprunter pour y accéder est l’acceptation de cette vulnérable dépendance dans laquelle réside aussi la capacité à être libre. Car ce sont dans nos liens d’amour que nous pouvons révéler notre plus profonde et authentique humanité. La reliance au cœur, le notre et celui de l’autre, donne un sens précieux à la vie.

C'est un leurre de penser que le non-attachement est une issue vers la liberté. La liberté d'Être s'acquiert par la reconnaissance de cette dépendance à toute forme de vie que nous côtoyons et qui nourrit notre compréhension de nous-mêmes. 
Cependant, comme dans tous nos comportements et sentiments humain, il reste important de s’interroger pour se comprendre. Et tout a une limite. Car tout a besoin d’équilibre. Et concernant ce besoin de l’autre qui demeure en nous, il est aussi important de mettre du sens sur la façon dont cela s’exprime à l’intérieur de soi. Pouvoir définir quel est notre besoin et pourquoi à travers cet élan de dépendance : est-il une nourriture pour notre âme et celle de l'autre afin de grandir mutuellement dans l’échange, de se soutenir, se protéger et s’accompagner ? Ou est-il seulement une succession d'attentes insatiables à travers lesquelles nous recherchons en vain notre sentiment d'existence ? La subtilité est là. Et notre devoir envers nous-mêmes et envers l’autre est de travailler sincèrement sur cette identification profonde qui se mêle inévitablement à nos blessures humaines. 
Dans tout comportement humain, il y a des éléments importants à mettre en sens car nous demeurons des êtres en perpétuel construction, réparation et évolution. Si le besoin de l’autre est un besoin de partage et de cheminement pour avancer ensemble dans la vie et sa quête de sens, nous avons tout à y gagner. Mais si le besoin implique une dépendance pour vivre à travers l’identité de l’autre en reniant la sienne cela devient alors un bonheur erroné qui ne cherche inconsciemment qu’à combler nos manques grâce à l’extérieur...
Il faut alors parvenir à dialoguer avec son cœur pour définir le besoin de l'autre afin que cet attachement ne fasse pas mal, ni à soi, ni à l’autre. Pourquoi ai-je besoin de l’autre aujourd’hui ? Pour me nourrir ou chercher une légitimité d’existence ?

L'autre doit pouvoir être un soutien comme nous pouvons l’être à notre tour pour lui dans le but commun de s’encourager et s’épauler et pouvoir ainsi construire un amour sécurisant intérieur. C’est en s’offrant ce cadeau que nous serons des Êtres capables d’amour pour soi, pour l’autre, pour la vie. Si nous parvenons à être autant heureux seul qu’en présence de nos semblables, nous pouvons alors avoir besoin de ceux que nous aimons en toute liberté, sans avoir peur d’être fragilisé par ce lien/besoin. Car si l’être humain n’est pas fait pour vivre seul, c’est sûrement un leurre de se dire qu’il n’y a aucune dépendance dans l’attachement.

N’oublions jamais cette fragilité qui nous a animé le jour de notre naissance car nous ne serions pas là sans le prendre soin de cet autre soi-même qui a pu à son tour continuer à apprendre la bonté de son cœur en prenant soin de nous. N’oublions pas que cette petitesse de notre Être a aussi nourrit le grand être humain en face de nous par la dépendance de notre vie qui a pu permettre un échange d’amour mutuel.
Souvenons-nous que les petits et les grands avancent ensemble, développant ainsi leur identité singulière tout au long du chemin car c’est bien dans cette interaction, dans cette connexion et dans cette dépendance que se trouve toute une vie commune à partager…

J’ai besoin de toi,

J’ai besoin du « nous »,

Pour atteindre l’amour inconditionnel de mon Être.


 

Charlotte, septembre 2022




Dessin de Leïna Fort Vergori