L’amitié est encore partie ce matin.
Mais cette fois, la porte a claqué plus fort que d’habitude. Je ne l’avais pas vu s’éloigner car mes espoirs avaient nourri mon cœur qui n’aspirait qu’à l’éternité du lien. Mes bras avaient entouré l’amitié chaque jour et l’avaient serré si fort contre mon cœur pour ne plus jamais qu’elle s’en aille. Malheureusement, cela n’a pas suffi…encore une fois.
Une triste pensée m’accable alors de tout son poids : mes bras ont peut-être été trop étouffants de présence ou à l’inverse pas assez contenants d’amour pour donner envie à l’amitié de rester tout près de moi et d’accompagner de sa présence les pas maladroits de ma petite existence terrestre.
La froideur de ce départ ralentit douloureusement les battements de mon cœur qui n’arrive plus à prendre soin de mon corps ce matin. La douleur comprime ma poitrine et l’air manque dans mes poumons : bloqués par cet imprévisible chagrin, ils peinent à prendre toute leur place pour continuer d’oxygéner ma vie. C’est ainsi que mes larmes sont sorties incontrôlables et plus orageuses. De mes yeux, elles ont envahi chaque recoin de mes joues, ont noyé entièrement mes lèvres et sont allées se réfugier dans mon cou pour y mourir dans la solitude de ce froid automnale.
L’amitié, que j’ai tant adulé, a préféré aujourd’hui abandonner nos promesses de l’époque : celles que nous nous étions faites à la naissance de notre lien, lorsque le ciel était bleu et sans nuages et que nous goûtions à l’intensité de l’affection nouvelle comme dans tout commencement.
A présent, il faudrait réparer avec des efforts d’amour et avec un grand soin chaque partie de nos cœurs fendue de blessures causées bêtement par notre malhabile humanité : être là, présent fidèlement, pour permettre à l’affection réciproque de l’amitié de continuer à se frayer un chemin à travers les tempêtes pour perdurer demain…et tous les autres jours de notre vie.
Mais, ce matin, tu as préféré ignorer le bruit de ma chaotique existence et tu as emporté la tienne loin de mon cœur désemparé d’être démuni de nous. Cette violence sourde aux oreilles du monde est cependant assourdissante pour mon corps endolori qui reste recroquevillé dans un coin de ma vie tentant de détecter une once de lumière quelque part dans mon obscurité intérieure.
C’est ainsi que je lutte de toutes mes forces pour ne pas laisser toute la place à cette imposante douleur dont je fais aujourd’hui la rencontre malgré moi. Et je m’accroche coûte que coûte au fil invisible qui me relie encore à l’élan d’amour pour ma vie. Il est fragile mais il est encore là, nouer à un bout de mon cœur fissuré.
On parle souvent du chagrin d’amour car cette relation passionnante a inondé la littérature depuis longtemps et il est fascinant, à travers le couple, d’observer le fonctionnement de l’attachement humain. Mais il existe une relation plus discrète pouvant toutefois s’avérer aussi attachante et puissante lorsque nous osons lui faire un peu de place dans notre vie afinqu’elle révèle tous ses précieux secrets.
C’est ainsi que j’ai fait connaissance, ce matin, avec le chagrin d’amitié. Je ne savais pas qu’il existait, et, je peux vous dire, qu’il fait aussi mal que l’amour celui-là.
L’amitié est une relation de soutien inconditionnel lors des épreuves douloureuses et un témoin plein d’affection lors des moments heureux de notre vie. Elle est toujours là, présente à l’horizon, prête à frapper à notre porte. Elle semble n’avoir aucune exigence. On l’oublie de temps en temps au détriment de l’amour, de la famille, des obligations sociales et professionnelles en la laissant parfois un peu de côté. Et lorsque le besoin d’amour et de soutien vint à manquer, nous recherchons alors, dans la grisaille du jour, les yeux doux de l’amitié. Mais cette relation négligée de l’humain a besoin, elle aussi, de continuité, de partages, de constance et de réciprocité. Elle aussi est un amour à nourrir régulièrement.
L’amitié s’en est allée ce matin. Et derrière le rideau de mon chagrin, j’ai entendu pour la première fois, l’écho lointain d’une décision difficile à prendre : celle de ne plus s’attacher. Non pas par lâcheté mais pour panser la douleur du lien car, oui, aujourd’hui le lien me fait tellement mal...Systématiquement, il me vole une partie de moi puisqu’il finit toujours par partir soudainement. A chaque déception, une partie de mon Être donnée avec amour disparaît à jamais avec l’ami qui s’en est allé. Ce vide est irremplaçable et désormais, je ne parviens plus à le combler : la confiance inconditionnelle que j’avais offerte à l’amitié s’est maintenant brisée en mille morceaux, comme le verre qui tombe et se casse inévitablement sur le sol. Alors, ce matin, mon cœur a finalement accepté la douloureuse proposition de l’écho dans un dernier sanglot.
L’amitié n’est pas acquise. Rien dans ce monde ne l’est. Dans cette incapacité qu’à l’humain de s’engager pleinement dans l’amitié, je me sens toujours plus incomprise et insatisfaite. Car l’humain est si peureux du lien, de la vulnérabilité qu’il révèle de chacun et du courage qu’implique l’amour partagé dans ses tempêtes comme ses couchers de soleil…C’est pourquoi je décide à mon tour d’abandonner désormais. Puisque l’amitié ne veut jamais retenir mon existence, je choisi de lui lâcher la main.
Je ne m’attache plus car je ne veux plus vivre dans la peur de perdre encore une partie de mon cœur.
Je ne m’attache plus car je ne veux plus pleurer de douleur lorsque je verrai partir l’amitié sans prévenir.
Je ne m’attache plus car je vois bien que les gens finissent par se lasser et par s’éloigner sans se retourner.
Je ne m’attache plus car chacun fait sa vie et que l’amitié n’est jamais une priorité dans le quotidien des humains pressés.
Je ne m’attache plus car je sais qu’on ne tient pas toujours ses promesses, qu’on change d’avis et qu’on aime pour quelques temps mais pas pour toujours.
Je ne m’attache plus car je suis épuisée de ces personnes qui viennent et repartent sans savoir ce qu’elles veulent vraiment.
Je ne m’attache plus…mais ça ne m’empêche pas d’aimer. Seulement c’est ainsi que je pourrai continuer de partager mon amour pour l’humain : sans attente et en secret à travers le don de soi dans les petits gestes au quotidien. Ainsi, la déception ne retrouvera plus jamais le chemin jusqu’à mon cœur.
« L’amitié,
tu me manqueras.
Mon
cœur m’a confié un secret ce matin en séchant patiemment mes
larmes :
il
m’a murmuré doucement à l’oreille que, si j’ai rencontré la
douleur de ton ombre,
c’est que j’ai eu la chance d’éprouver tout le bonheur
d’aimer d’amitié.
Même
si j’aurai tellement souhaité autre chose de notre relation,
je
te laisse partir aujourd’hui parce-que, justement, je t’aime
infiniment…
Mais
il faut désormais que je te survive. »
Charlotte, 3 décembre 2021
« A
ces quelques amitiés singulières que j’ai aimé de tout mon
cœur… »
Photo de Charlotte Vergori